dimanche 24 avril 2011

Bahreïn : la terreur secrète

Des courriels désespérés parlent de « génocide », alors que des rafles
visent les médecins qui ont soigné les manifestants blessés



Une équipe médicale s'active autour d'un Chiite blessé, à l'hôpital Salmaniya, dans la capital bahreïnie, Manama (photo : GETTY IMAGES)
 
Au Bahreïn, l’intimidation et la détention des médecins qui ont soigné des manifestants pour la démocratie, agonisants ou blessés, a été révélé hier, dans une série de courriels effrayants obtenus par The Independent.
Au cours du dernier mois, au moins 32 docteurs, dont des chirurgiens, des médecins généralistes, des pédiatres et des obstétriciens, ont été arrêtés et détenus par la police bahreïnie dans une campagne d’intimidation qui va directement à l’encontre de la Convention de Genève, laquelle garantit des soins médicaux aux personnes qui sont blessés dans un conflit. Les docteurs dans le monde entier ont exprimé leur choc et leur indignation.

Une doctoresse, spécialiste des soins intensifs, a été détenue après avoir été photographiée en train de pleurer sur le corps d’ n manifestant décédé. Un autre médecin a été arrêté en pleine salle d’opération alors qu’il pratiquait une intervention sur un patient.

Un grand nombre de médecins, âgés de 33 à 65 ans, ont « disparu » - ils sont détenus sans contact avec l’extérieur ou dans des endroits tenus secrets. Leurs familles ne savent pas où ils se trouvent. Infirmières, aide-soignants et ambulanciers ont également été détenus. Des courriels entre un chirurgien bahreïni et son collègue britannique, que The Independent a pu voir, donnaient une description crue de la menace à laquelle les personnels médicaux sont confrontés, alors qu’ils se battent pour soigner les victimes de la violence. Ces courriels apportent une vue furtive sur la terreur et l’épuisement que subissent les médecins et le personnel médical.

Depuis le début des troubles, le 15 février dernier, les forces du gouvernement bahreïni, soutenues par les troupes saoudiennes, ont violemment sévi contre les manifestants – et la dureté de leur riposte a désormais été étendue à ceux qui soignent les blessés.

Les auteurs de ces courriels, un chirurgien chevronné du complexe médical de Salmaniya, le principal hôpital civil du Bahreïn, a été emmené au quartier général du ministre de l’intérieur, à Manama, pour y être interrogé. Il n’a jamais reparu. Aucune raison n’a été donnée sur son arrestation, ni d’information sur son état de santé.

Dans une série de courriels, transmise dans l’espoir d’attirer l’attention sur sa détresse et celle de son collègue, le chirurgien décrit des scènes épouvantables à l’hôpital de Salmaniya, avec les personnels qui sont menacés et détenus en nombre croissant, parce qu’ils assurent des soins aux manifestants pro-démocratie blessés. « Des comités d’interrogatoires m’ont questionné sur notre rôle dans les soins aux manifestants blessés, qui sont désormais considérés comme des criminels pour avoir protesté contre le gouvernement », a-t-il dit, peu de temps avant sa détention. « Nous avons dit que nous étions là pour soigner les patients et que nous ne mous mêlions pas de politique.

« J’ai un mauvais pressentiment sur la façon dont les choses se déroulent au Bahreïn. Un nombre si important de nos collègues chirurgiens et médecins spécialistes ont été arrêtés lors de rafles effectuées avant l’aube et ont disparu. »

Le 17 février, au début des manifestations, il écrivait : « La journée a été longue dans la salle d’opération avec un très grand nombre de patients, s’apparentant à un massacre. La situation est toujours explosive et j’espère qu’il n’y aura plus de morts. »

Dès la mi-mars, la situation s’était détériorée rapidement. « A cet instant, je suis à l’hôpital, épuisé et débordé par le nombre de jeunes victimes mortellement blessées, c’est un génocide contre notre peuple et nos médecins et infirmières hospitaliers sont pris pour cible par la milice pro-gouvernementale, parce qu’ils aident les patients ; tant de médecins et d’infirmières ont été molestés pour avoir simplement soigné des blessés. Des ambulances sont détruites ou prises pour cible par les militaires.

« Je dois partir maintenant, la loi martiale a été imposée il y a juste quelques heures. Je suis reconnaissant pour ce que [le nom a été coupé] m’a enseigné, cela me permet d’aider et de sauver beaucoup de monde ces dernières jours ».

Puis, un long silence a suivi avant qu’il n’écrive à nouveau : « Trois semaines d’enfer. L’armée a pris le contrôle de l’hôpital Salmaniya, médecins, infirmières, personnel paramédical et patients sont traités comme des suspects par les soldats et les policiers. Interrogatoires quotidiens et détention pour certains de nos collègues. » Il ajoutait : « [Je suis] très intimidé et effrayé. »

Le collègue britannique de ce chirurgien a déclaré mardi : « Mon ami est un chirurgien très gentil, qui travaille dur et qui est complètement apolitique. Il a été emmené pour interrogatoire et n’a pas été revu depuis. »

« Lui et ses collègues ont connu des moments affreux. Ils étaient de bons médecins qui soignait tous ceux qui se présentaient. Sa détention est scandaleuse. Les docteurs sont censés soigner les patients quels qu’ils soient, pas emprisonnés parce qu’ils prennent soin de dissidents présumés. »

John Black, le président du Royal College of Surgeons of England a déclaré : « Ces rapports de harassement du personnel médical dans les troubles en cours au Bahreïn, dont des chirurgiens formés au Royaume-Uni, sont très préoccupants. La protection et les soins des personnes blessées lors d’un conflit est un droit fondamental garanti par la Convention de Genève, que tout médecin ou institution médicale devrait être libre d’exercer. »

Michael Wilks, vice président de l’Association Médicale Britannique et ancien président du comité d’éthique, a déclaré : « La Convention de Genève et les normes internationales d’éthique médicale sont absolument claires - punir des médecins parce qu’ils sont identifiés comme soignant des patients que le régime désapprouve est totalement inacceptable ».

La Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères, la Baronne Ashton, a exprimé son inquiétude au sujet des tueries et des passage à tabac au Bahreïn, avant de se rendre là bas.

Voici des extraits des courriels de l’un de ces médecins

Jeudi 17 février 2011 à 21h24
La journée a été longue dans la salle d’opération avec énormément de blessés, s’apparentant à un massacre. La situation est toujours explosive et [j’] espère qu’il n’y aura plus de morts.

Mardi 1er mars 2011 à 8h43
J’ai été très occupé avec tant de blessés, dont certains très sévèrement.

Mardi 15 mars 2011 à 16h05
En ce moment-même, je suis à l’hôpital, épuisé et submergé par un grand nombre de jeunes mortellement blessés, c’est un génocide contre notre peuple et nos médecins et infirmières hospitaliers sont pris pour cible par la milice pro-gouvernementale parce qu’ils aident les patients, tant de médecins et d’infirmières ont été molestés pour avoir simplement soigné des blessés. Les ambulances sont détruites ou prises pour cible par l’armée. Je ferais mieux de partir maintenant, la loi martiale vient d’être imposée, il y a quelques heures.
Il doit aller voir mes enfants.
Je suis reconnaissant pour ce que [le nom a été coupé] m’a enseigné, cela me permet d’aider et de sauver beaucoup de monde ces derniers jours.

Vendredi 8 avril 2011 à 6h42
3 semaines d’enfer.
L’armée a pris le contrôle de l’Hôpital Salmaniya, médecins, infirmières, aides-soignants et patients, traités comme des suspects par les soldats et les policiers, subissent quotidiennement des interrogatoires et certains de nos collègues sont détenus.
Des comités d’interrogatoires me questionnent sur notre rôle dans les soins apportés aux manifestants blessés, qui sont considérés comme des criminels pour avoir protesté contre le gouvernement ; nous avons dit que nous sommes là pour soigner les patients et que nous n’avons rien à voir avec la politique. Je n’ai pas un bon sentiment que la façon dont les choses se passent au Bahreïn, tant de nos collègues chirurgiens-conseils et médecins généralistes ont été arrêtés lors de rafles avant l’aube et ont disparu.
Pas seulement des docteurs, mais des infirmières paramédicales, des joueurs de football, des universitaires, un doyen d’université… tout le monde est suspect, [je ne suis] pas sûr, mais [je] subis beaucoup de pression et [je suis] très effrayé.
Je viens juste de me lever et j’ai ressentis le besoin de vous envoyer ce courriel, j’espère que cela ne vous dérange pas, sachant que vous vous préoccupez beaucoup de nous.
Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]

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