mercredi 21 mars 2012

La cupidité qu’on voit et celle qu’on ne voit pas


Nils Sinkiewicz est originaire du sud-est de la France. Il est titulaire d'un Master en Hautes Études Internationales. Il a écrit pour diverses revues, notamment pour le Cri du Contribuable




Maintenant c’est sûr, le doute n’est plus permis, et avec un peu de chance, le prochain gouvernement en fera une loi mémorielle : les riches sont des salauds. C’est la conclusion qui s’impose, dit-on, à la lecture de l’étude réalisée récemment par l’université de Berkeley et publiée le 27 février dernier dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences. 


A l’évidence, si l’étude fait parler d’elle, c’est parce qu’elle conforte le préjugé sur les riches en superposant à la distinction sociologique entre classes moyennes et classes aisées une distinction éthique entre classes morales et classes immorales. Un Français bien élevé ne doit pas évoquer les « classes dangereuses », mais il peut montrer du doigt les classes accapareuses, égoïstes, oisives, immorales. De cette sociologie de comptoir, on ne lui tiendra pas rigueur. 

Certes, l’étude ne manque pas de pertinence. Elle fait ressortir, par exemple, que les « riches » hésitent moins que les autres à se jouer des règles s’ils y trouvent un avantage. Cela n’a rien d’une nouveauté. En Occident, les groupes les plus aisés ont toujours été des éléments à la fois stabilisateurs et déstabilisateurs, entre conformisme et anti-conformisme, et l’avènement du capitalisme libéral n’y a rien changé, qui fait de la remise en cause permanente (ce que Schumpeter appelait « destruction créatrice ») le moteur de notre civilisation.

Du reste, dire qu’il existe une corrélation entre le niveau de vie d’un individu et la moralité de son comportement revient à dire ce que tout le monde sait déjà : que l’on peut faire plus de choses avec de l’argent que sans argent, que cette liberté nous rend moins dépendant de la collectivité, et qu’en même temps que le sentiment de dépendance, c’est le sentiment d’appartenance qui s’étiole et déculpabilise d’enfreindre les règles du groupe (Bernanos ne disait pas autre chose quand il fustigeait le mépris du bourgeois pour sa patrie).

C’est justement ce qui devrait mettre mal à l’aise les commentateurs. Car cette forme d’indépendance et de liberté, c’est celle que les classes moyennes et populaires réclament pour elles-mêmes. La question se pose donc de savoir comment ce qui pervertit les uns pourrait édifier les autres…

Pour les auteurs de l’étude, le coupable n’est pas la richesse en soi, mais la cupidité. C’est la cupidité qui pousserait les plus riches d’entre nous à marcher sur les pieds du voisin pour obtenir un avantage quelconque. Il y aurait ainsi deux manières d’écouter ses envies : la manière du riche qui triche, ment, trahit, et la manière des autres, moins cupides, donc plus respectueux des lois et de la morale.

Une théorie commode, qui a l’avantage de légitimer les revendications socio-économiques du plus grand nombre mais l’inconvénient d’ignorer un point essentiel.

En effet, l’étude s’intéressant aux comportements immoraux individuels, elle ignore l’immoralité institutionnalisée, à savoir les mécanismes par lesquels la loi invoque de grandes idées pour répondre à des attentes immorales. Car enquêter sur la moralité des comportements individuels, c’est exclure a priori de son champ de vision tous les vices humains que les administrations publiques se chargent de satisfaire pour le compte de la société. 

Ainsi, l’étude épingle l’incivilité du « riche » au volant, mais ne s’interroge pas sur la redistribution ou la progressivité de l’impôt, qui légitiment, en l’institutionnalisant, la cupidité et l’envie du plus grand nombre. Tout le monde n’a pas entendu parler de cette « grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde », comme disait Bastiat.

D’aucuns soulignent, pour s’en réjouir, le caractère scientifique de cette étude. Je veux bien croire que les chercheurs de Berkeley soient des hommes de science. On se trompe toutefois sur la conclusion de leur étude. Car ce que prouve cette dernière, ce n’est pas qu’un riche se comporte a priori moins bien qu’un pauvre, mais que la cupidité rend facilement immoral (ce n’est pas nouveau) et que l’immoralité d’un comportement paraît plus évidente quand aucun beau principe ne vient la justifier. 

Très curieusement, ce dernier point ne fait guère couler d’encre. 
On se demande pourquoi !

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