samedi 20 juillet 2013

INTERNATIONAL : Les pays du Golfe volent au secours de l'Egypte

Depuis la destitution du président Mohamed Morsi en Egypte, les monarchies du Golfe se pressent au chevet des nouvelles autorités mises en place par l'armée

L'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Koweït ont annoncé leur intention d'apporter une aide financière équivalente à 12 milliards de dollars (9 milliards d'euros) pour sortir l'Egypte d'un état de quasi-faillite et soutenir la transition...

Ce geste constitue surtout, pour ces puissances du Golfe, qui ont été promptes à féliciter le nouveau pouvoir, une façon de rasseoir leur influence sur ce pays incontournable du Moyen-Orient. Un ascendant qu'ils avaient perdu face à l'alliance privilégiée que les Frères musulmans avaient scellée avec leur voisin, leQatar.


Le 5 juillet au soir, le roi Abdallah d'Arabie saoudite s'est ainsi empressé d'appeleren personne le chef d'état-major égyptien, le général Abdel Fattah Al-Sissi, pour l'assurer de son soutien aux autorités de transition. "Depuis que la junte militaire a repris le contrôle, on voit combien les pays du Golfe se sentent à l'aise et retrouvent leurs marques politiques du temps de Hosni Moubarak. C'est le retour de l'ordre ancien. Le Caire est rentré dans l'axe qui relie Ryad dans la région à Washington", analyse Karim Sader, politologue spécialiste des questions du Golfe.
Après les craintes d'une déstabilisation interne et même d'un lâchage des Etats-Unis, l'Arabie saoudite retrouve son rôle de leader de l'axe sunnite au niveau régional. "L'Egypte est un des piliers de l'axe sunnite qui résiste face au front iranien. C'est également un pôle géopolitique, un point d'accès au dossier israélo-palestinien, même si cette puissance n'est plus que l'ombre d'elle-même", souligne le politologue. Un leadership confirmé par l'élection, samedi 6 juillet, du pro-saoudien Ahmed Jarba à la tête du Conseil national syrien (CNS), face à des candidats plus proches des Frères.

LES FRÈRES, ANTITHÈSE DES MONARCHIES DU GOLFE


Durant l'année de présidence de Mohamed Morsi, issu de la confrérie des Frères musulmans, les relations entre ces pays du Golfe et l'Egypte étaient balbutiantes. A la différence du Qatar, ils étaient restés à l'écart des difficultés économiques du pays en raison de leurs craintes de l'influence potentielle des Frères auprès de leurs propres populations. "Les Frères musulmans sont devenus l'une des principales menaces de la pérennité des monarchies héréditaires du Golfe. Tout les oppose. Les Frères musulmans, issus des couches populaires, populistes et appelant au changement, sont l'antithèse du wahhabisme et du conservatisme des monarchies héréditaires et corrompues du Golfe, asservies à l'Occident d'un point de vue militaire, économique et politique", souligne Karim Sader.

Durant cette année, l'Arabie saoudite a davantage soutenu les courants salafistes égyptiens, politiquement et financièrement, comme le parti Al-Nour, qui a rompu dès janvier 2013 avec les Frères musulmans. "Sur le plan idéologique, les Saoudiens préfèrent les islamistes fragmentés, radicaux comme les salafistes. Ils sont plus pauvres économiquement et facilement contrôlables, dispersés en plusieurs écoles", argue le politologue. "Aujourd'hui, le souci des pays du Golfe va être de réduire durablement l'influence des Frères musulmans par rapport à l'armée", prédit-il.
D'autant qu'au grand dam de l'Arabie saoudite, les Frères ont bénéficié du soutien de Washington. "Les Etats-Unis ont cru aux Frères musulmans. Ils avaient acté leur arrivée, ils aimaient bien traiter avec eux car ce sont des adeptes du libéralisme économique. Ils s'appuyaient sur eux pour contrer le nationalisme arabe et l'anti-impérialisme, en échange d'une paix froide avec Israël", analyse Karim Sader. Aujourd'hui, les Etats-Unis observent le changement en cours avec prudence. "Etant un allié-clé de l'armée et ayant une grande influence sur elle, ils ont donné leur blanc-seing au coup d'Etat et maintenu leur aide militaire de 1,3 milliards de dollars", précise le politologue. Mais l'aide des pays du Golfe aux nouvelles autorités égyptiennes a constitué un signal positif pour un engagement américain plus appuyé.

LE QATAR ÉCARTÉ

Cette recomposition des alliances s'est jouée au détriment de l'émirat du Qatar qui avait, tout comme la Turquie, fait le pari des Frères musulmans en soutenant le président Morsi, politiquement et financièrement. Ce riche pays gazier avait annoncé, le 10 avril, son intention d'acheter des obligations égyptiennes pour 3 milliards de dollars, qui allaient s'ajouter à une assistance financière de cinq milliards de dollars. "Il y a entre les Frères musulmans et le Qatar une connivence idéologique. Cette alliance constituait également un moyen de tacler l'Arabie saoudite", analyse Karim Sader. Durant le printemps arabe, le Qatar s'est illustré par une diplomatie agressive et ouverte de soutien aux mouvements révolutionnaires en Tunisie, en Syrie et en Libye notamment, ce qui a dérangé les autres puissances du Golfe.
Le Qatar a réagi avec réserve à la mise à l'écart de M. Morsi, en affirmant toutefois son intention de "continuer à soutenir l'Egypte""Le Qatar a tempéré son soutien aux Frères musulmans en Egypte au nom des bonnes relations et du pacte de non-agression avec l'Arabie saoudite", analyse Karim Sader. Entre l'Arabie saoudite et le Qatar, l'heure est en effet à l'apaisement. Le nouvel émir du Qatar, le cheik Tamim bin Hamad Al-Thani, désigné par son père, le cheik Hamad bin Khalifa Al-Thani, pour le remplacer en juin, est l'un des artisans du réchauffement des relations saoudo-qataries. Il avait notamment coprésidé le comité saoudo-qatari sur les frontières avec le fils du roi Abdallah.
En outre, estime Karim Sader, "le soutien du Qatar aux Frères musulmans est àrelativiser. Les Qataris n'étaient pas si satisfaits que cela de Mohamed Morsi. Ses bévues ont fait grincer des dents. Le Qatar aurait finalement préféré quelqu'un d'autre."


UN BALLON D'OXYGÈNE

Pour l'Egypte, l'aide de 12 milliards de dollars promise par ces trois pays du Golfe constitue un formidable ballon d'oxygène pour faire face à une crise économique persistante et un déficit public croissant. "Cette aide permet d'acheter la paix sociale, de maintenir le salaire des fonctionnaires, de la nomenclatura et les carburants", précise Karim Sader. Elle devrait renflouer des réserves en devises qui s'épuisent et éviter un effondrement de la balance des paiements égyptienne. Les réserves de devises étrangères étaient en effet évaluées à 14,92 milliards de dollars fin juin et diminuaient au rythme de 1 à 2 milliards par mois, sans compterles apports de l'aide extérieure.

Cela devrait également permettre aux autorités provisoires d'assurer, au moins pendant quelques mois, le fonctionnement de l'administration et de mettre fin au rationnement des carburants responsable d'un mécontentement public persistant. Selon John Sfakianakis, chargé des investissements stratégiques chez Masic, société basée à Ryad, les 8 milliards de dollars que vont débloquer les Saoudiens et les autorités émiraties devraient aider Le Caire à souffler pendant quatre à six mois.
Cette manne ne va pourtant pas, à elle seule, résoudre les deux principaux maux de l'économie égyptienne : un déficit budgétaire incontrôlé et une instabilité politique qui effraie les investisseurs étrangers. En l'absence de progrès avant la fin de l'année dans ces deux domaines, la crise économique risque de ressurgir etcontraindre l'Egypte à solliciter à nouveau une assistance extérieure, la rendant de plus en plus dépendante des Etats de la région. 

"LA DIPLOMATIE DU CARNET DE CHÈQUES"

"Que ce soit l'aide du Qatar et de la Turquie sous Morsi ou la nouvelle aide, ce n'est pas ce qui va arranger l'économie égyptienne. Au contraire, cela peutaggraver la situation, en empêchant la mise en place de réformes nécessaires. La diplomatie du carnet de chèques n'est pas saine", commente Karim Sader. L'aide apportée par le Qatar au président Mohamed Morsi lui a en effet permis pendant un an de "résister aux pressions du Fonds monétaire international (FMI) et des Etats-Unis pour réduire les déficits et prendre des mesures impopulaires, en évitant les réformes structurelles qu'ils demandaient", poursuit le politologue. Fin 2012, le FMI et l'Egypte étaient finalement parvenus à un accord sur un plan d'aide de 4,8 milliards de dollars.

Pour satisfaire les attentes du FMI, les nouvelles autorités égyptiennes vont devoirs'engager dans une profonde réduction du déficit budgétaire, qui a quasiment doublé par rapport à l'an passé, pour atteindre 113,4 milliards de livreségyptiennes (16,2 milliards de dollars) au cours des cinq premiers mois de 2013. De fortes incertitudes demeurent sur la manière dont le pouvoir soutenu par les militaires va mettre en place ces réformes, et notamment réduire les subventions publiques accordées à certains produits de consommation courante. De telles mesures risqueraient d'avoir des répercussions politiques.



"En fait, un programme populiste anti-FMI a le plus de chances de rallier des voix. Et je ne suis pas non plus optimiste concernant un accord à long terme", juge Farouk Soussa, chargé du Moyen-Orient chez Citigroup. La nomination de Hazem El-Beblaoui, économiste de niveau international, comme premier ministre de transition, pourrait toutefois améliorer les chances de voir le FMI débloquer le prêt promis. Dans un entretien accordé au quotidien égyptien anglophone Daily News Egypt, avant sa nomination, il s'était prononcé en faveur d'une réforme des subventions publiques. "Nous devons faire en sorte que le public comprenne que le niveau de subventions publiques en Egypte n'est pas tenable et que la situation est critique", avait-il déclaré.

Enfin, pour relancer son économie, l'Egypte a besoin d'attirer des investisseurs privés. Les investissements étrangers directs représentaient 1,4 milliard de dollars sur une période de neuf mois s'achevant en mars. Il y a quelques années, ces investissements dépassaient les 10 milliards de dollars par an.



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