lundi 16 mai 2011

Le départ du patron du FMI bouleverserait les négociations économiques mondiales



LEMONDE | 16.05.11 | 14h19  •  Mis à jour le 16.05.11 | 15h59


Quoi qu'il se soit passé dans une chambre de l'hôtel Sofitel à New York, les chances de Dominique Strauss-Kahn de sortir indemne de l'accusation de tentative de viol sont faibles au sein du Fonds monétaire international (FMI). Les connaisseurs de l'institution jugent "consternants" ou "sidérants" les faits débouchant sur un vrai champ de ruines, à la mesure de la place éminente que le directeur général du Fonds avait acquise au plan mondial.


Jusqu'à présent, le conseil d'administration et le comité d'éthique du FMI avaient fait preuve d'indulgence à son égard. Le précédent directeur, Rodrigo Rato, avait été sermonné pour avoir participé à un meeting du Parti populaire (droite) espagnol, en violation de la règle qui interdit au directeur de faire de la politique. Or, ni la présence de M. Strauss-Kahn à une réunion socialiste à la Mutualité en 2009, ni ses propos ambigus sur sa candidature éventuelle à la présidentielle française n'ont été l'objet de réprimandes.

Il est vraisemblable que le conseil du FMI, réuni de façon informelle dimanche 15mai et officiellement lundi, décide de vérifier de près que son directeur a respecté les prescriptions de l'institution qui l'obligent à "suivre les normes les plus élevées de comportement éthique, conforme aux valeurs d'intégrité, d'impartialité et de discrétion". D'autant qu'il lui avait déjà fait grief de son "erreur de jugement" pour sa liaison avec une subordonnée, en 2008. Si le conseil se persuade que sa perte de crédibilité ne lui permet plus de "faire le job", il lui demandera de partir à bref délai, prédit un ancien de l'institution.
L'absence de M.Strauss-Kahn se fera lourdement sentir à la réunion de l'Eurogroupe, lundi 16mai à Bruxelles. La directrice générale adjointe, Nemat Shafik, qui l'y remplace est une spécialiste du développement, mais pas des questions financières et monétaires.
Retenu par la police, le directeur n'a pu, dimanche, défendre – en allemand – auprès d'Angela Merkel une position qui lui est chère. Selon lui, il faut donner à la Grèce, à l'Irlande et au Portugal le temps de se redresser et, pour cela, leur fournir l'argent nécessaire afin de les dispenser de recourir aux marchés pour financer leur dette.
OPPOSANT AUX RIGORISTES DE L'UE
Depuis le début de la crise grecque fin 2009, il s'opposait aux rigoristes – qu'il qualifiait de "fous furieux" – de l'Union européenne conduits par l'Allemagne et la Banque centrale européenne (BCE). Il voulait qu'un nouveau secours soit accordé à la Grèce, afin de repousser à fin 2012, voire plus tard, son retour sur les marchés.
Avec Jean-Claude Trichet, le patron de la BCE (sur le départ), et en l'absence d'un pouvoir européen crédible, il s'est imposé comme l'une des clés de voûte de l'euro et de l'Europe, un "vrai joker" pour débloquer les négociations, selon un diplomate européen.
Il est le seul à pouvoir convaincre les pays émergents, membres du FMI et mécontents des milliards promis aux Européens croulant sous les dettes, que cette aide doit être accordée en raison de la dangerosité d'un effondrement européen pour le reste du monde.
Dans quelques jours, on peut donc craindre de nouvelles attaques spéculatives contre les pays en difficulté et dont la chute de l'euro en Asie, lundi, est un signe avant-coureur, si les opérateurs de marché jugent l'Europe et le FMI incapables de s'entendre pour mobiliser les 60milliards d'euros supplémentaires réclamés par la Grèce. La situation risque de devenir vite incontrôlable.
La neutralisation du patron du FMI compliquerait les travaux du G20 sous présidence française. En effet, il a su faire de son institution un intermédiaire obligé au niveau technique, puisque ses services en pilotent la plupart des dossiers : réforme du système monétaire international ou élaboration des instruments permettant de mesurer la dangerosité des déséquilibres macroéconomiques, l'excès d'épargne ou d'endettement, le risque des balances commerciales, les anomalies de taux de change ou les flux excessifs de capitaux.
ACCOUCHEUR DE CONSENSUS MONDIAL
Au plan politique, aucun autre dirigeant du Fonds n'est en état de persuader les chefs d'Etat et de gouvernement d'écouter les plaintes de leurs pairs à l'encontre des politiques qu'ils mettent en place sans précautions. John Lipsky, son premier adjoint qui le remplace aujourd'hui, est un homme effacé qui ne demandera pas le renouvellement de son mandat, le 31 août. Américain, John Lipsky est considéré avec méfiance par les pays émergents.
La foi de Dominique Strauss-Kahn dans le multilatéralisme et ses talents de négociateur en ont fait l'accoucheur de consensus mondial. Personne ne pourra le remplacer le 27 mai au G8 de Deauville. Personne d'autre ne pourra faire en juin la navette entre l'Asie, l'Amérique et l'Europe pour rapprocher les points de vue sur le pilotage de l'économie destiné à assurer à la planète une croissance "forte, équilibrée et durable". Lui absent, les forces centrifuges risquent de se renforcer, d'autant que le FMI assure de facto le secrétariat du G20.
Au Fonds même, les événements de New York ressemblent à un séisme. Dominique Strauss-Kahn avait hérité d'un FMI déficitaire et discrédité pour son dogmatisme et ses politiques insouciantes de leurs conséquences sociales. Le 30 avril, il a clos un budget en bénéfice de 1,261 milliard de dollars et certaines ONG de Washington reconnaissent avoir du mal à critiquer contre un directeur souvent plus à gauche qu'elles dans sa dénonciation des inégalités et des turpitudes des banques. Le FMI ne se vit plus en "père Fouettard", mais en médecin des pays en banqueroute.
Le successeur de Dominique Strauss-Kahn conservera-t-il cette orientation chère aux pays défavorisés ? Sa désignation ne risque-t-elle pas de déboucher sur des déchirements entre pays industrialisés (qui contrôlaient le FMI) et pays en développement (qui s'estiment aussi capables de le diriger) mettant en péril le fragile consensus mondial, principal acquis de la crise? "Un vrai désastre !", résume un diplomate européen.
Alain Faujas
Dominique Strass-Kahn, dans la salle d'audience du tribunal pénal de Manhattan, à New York, lundi 16 mai 2011.

Stupeur : La justice ordonne l'incarcération de DSK

La justice américaine a refusé la demande de libération sous caution proposée par les avocats de Dominique Strauss-Kahn, évoquant un risque de fuite du patron du FMI.

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