Standard and Poor’s a dégradé la note souveraine de la France. Norbert Gaillard, spécialiste des agences de notation, explique que le délai minimum est de cinq à six ans, voire huit à dix ans pour retrouver la meilleure note possible. Interview.
L’agence de notation financière Standard and Poor’s a dégradé la France ce vendredi.
Reuters
La perte du triple A est-elle grave pour la France ? Je pense qu’il faut relativiser cette dégradation car elle était largement anticipée par les marchés, le niveau des taux d’intérêt français ayant suivi une tendance haussière depuis l’automne dernier. Aujourd’hui nous avons un spread (écart de taux d’intérêt à dix ans) entre l’Allemagne et la France de 140 points de base. Il devrait logiquement grimper autour des 200 points, un écart que l’on a connu en novembre dernier sans que cela ne nous pose de problème majeur sur les emprunts. De plus, cet écart de taux pourrait davantage être la conséquence d’un « fly to quality » – c’est-à-dire d’un report des investisseurs sur la dette allemande – que d’une flambée du taux français. Ce report ferait mécaniquement baisser le taux allemand à long terme sous les 1,7% et le niveau du taux français pourrait quant à lui se stabiliser à 3,7% ce qui ne serait pas dramatique.
Est-elle méritée selon vous? Elle nous pendait au nez. Depuis trente ans, nous vivons une lente dégradation des comptes publics, depuis dix ans nous vivons une perte de compétitivité, et année après année la solvabilité s’est légèrement détériorée. De plus, il y a eu un véritable blocage en France pour mettre en place des réformes que certains de nos voisins européens ont eux adoptées. A travers ces exemples, le fait que la France ne soit plus triple A me parait assez justifié et le fait que l’Allemagne le conserve est assez logique.
Quand la France pourra-t-elle récupérer son triple A? Cela dépend des agences mais le délai minimum est de cinq à six ans et plus généralement de huit à dix ans. Si l’on prend l’exemple de l’Australie ou des pays scandinaves dans les années 1990 il leur a fallu dix ans pour récupérer leur triple A. Mais la France pourrait très bien le récupérer plus rapidement si elle lance une réforme d’envergure qui plaira aux agences. Elle pourrait par exemple lancer une réforme plus large des retraites – avec notamment un allongement de la durée de cotisations -, une flexibilité du marché du travail, la réorganisation de la structure administrative en réduisant notamment le nombre d’échelons, ou alors une réduction drastique des dépenses. Là elle pourrait plutôt récupérer son triple A d’ici quatre ou cinq ans.
Comment vont réagir les autres agences de notation ? Moody’s a prévu de parler mercredi prochain, je pense que ce sera pour annoncer une mauvaise nouvelle à la France. Elle devrait au mieux décider d’une mise sous perspective négative de la note française (elle est la seule agence à ne pas l’avoir encore fait), et au pire annoncer une dégradation directe de la France sans passer par la case « perspective négative », ce qu’elle est autorisée à faire. Selon moi Moody’s attendait la dégradation de la France par S&P pour réagir. Pour Fitch en revanche – qui a déjà mis la note française sous perspective négative -, c’est un peu plus simple puisqu’elle a annoncé il y a quelques jours qu’elle ne toucherait pas au triple A français cette année. Elle pourrait tout à fait reconsidérer sa position pour 2012 mais je ne pense pas qu’elle bougera sauf s’il y a une accélération soudaine de la crise en zone euro.
Source: lexpansion.lexpress.fr
Les 10 conséquences de la perte du triple A
Standard & Poor’s a prévenu la France, l’Allemagne et les quatre autres pays de la zone euro notés « AAA » qu’ils pourraient être déclassés dans les prochains 90 jours en raison de l’aggravation de la crise de la dette. (Reuters)
« Ce serait une difficulté de plus », avait déclaré Nicolas Sarkozy lundi 12 décembre. Mais « pas un cataclysme », a poursuivi le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé mercredi 14 décembre.
Les commentaires des responsables politiques sur la dégradation de la note de la France par Standard and Poor’s évoluent au rythme de la crise européenne. Nicolas Sarkozy n’avait-il pas glissé il y a quelques temps : »Si on perd le triple A, je suis mort »?
Ainsi, après avoir fait de la préservation de la note souveraine l’indicateur sacré de la réussite de sa politique, la majorité tente d’en minimiser l’impact auprès de l’opinion. Mais quelles seront les conséquences réelles de la perte du AAA en France ?
1. Une hausse des taux d’intérêts
C’est un avertissement pour les créanciers de la France. Le triple A, décerné par les agences de notation comme Standard and Poor’s, indiquait que le risque de non-remboursement de la dette française était quasi nul. Rassurant pour les investisseurs à la recherche de placements sûrs, qui acceptaient de lui prêter à taux bas. Vont-ils désormais réclamer des taux supérieurs pour couvrir ce risque ?
2. Une confirmation de la crise
Se basant sur les analyses du Fonds monétaire international, sur les notes des deux autres grandes agences (Moody’s et Fitch) et surtout, sur les analyses des banques, les investisseurs n’ont pas attendu la perte du triple A pour paniquer.
La preuve de cette anticipation ? Avant sa dégradation, les taux d’intérêts des emprunts réalisés par l’Agence France Trésor n’ont cessé de monter ces dernières semaines, notamment par rapport à l’Allemagne. Et d’ailleurs, l’annonce, en décembre, de la mise sous surveillance par S&P de la note française a à peine fait ciller les marchés.
Cela dit, bien qu’anticipée, une dégradation n’arrange rien à la situation, car la France n’est pas le premier marché de la dette. Contrairement aux Etats-Unis qui, de ce fait, paient moins chers leurs emprunts aujourd’hui, bien qu’ils aient perdu leur triple A l’été dernier.
3. La fuite des investisseurs
En décembre, Standard and Poor’s avait mis sous surveillance quinze pays européens, mais elle avait ciblé plus particulièrement la France, en menaçant de lui retirer deux crans. « Si tous les pays de la zone sont dégradés d’un cran, c’est moins grave pour la France : les investisseurs ne la délaisseront pas au profit de ses voisins », expliquait Pascal Canfin, eurodéputé Verts et fondateur de Finance Watch, le Greenpeace de la finance.
Les fonds de pension, qui gèrent les actifs des retraités, ne prendront aucun risque : ils se tourneront mécaniquement vers les pays les mieux notés.
4. Le début d’un cercle vicieux
La dette de la France est de plus de 1.600 milliards d’euros. Le montant des intérêts est supérieur au plus gros budget de l’Etat. Et ce n’est pas fini : la France devra emprunter près de 180 milliards d’euros pour son financement public en 2012.
La poursuite de la hausse des taux d’intérêts signifierait une nouvelle réduction des marges de manœuvre du gouvernement. Notamment pour réformer l’Etat, relancer l’investissement et mettre en place une économie compétitive. Sans quoi il est impossible pour la France de retrouver une croissance suffisante pour réduire sa dette !
5. Une action de la banque centrale
La BCE n’est pas censée acheter des obligations souveraines. Son indépendance, gravée dans le marbre par les traités européens, lui interdit de financer un pays. Cependant, face au risque d’écroulement du système, elle a tout de même racheté des obligations grecques, irlandaises, portugaises, espagnoles et italiennes ces derniers mois.
Son but ? Restaurer la confiance sur les marchés obligataires et enrayer la hausse des taux, afin de sortir ces pays du cercle vicieux. En cas de déclenchement d’un tel phénomène en France, la BCE interviendra-t-elle ?
6. Une menace sur le système bancaire
Quelques jours après la menace de déclassement de la France, Standard and Poor’s a placé les banques françaises sous surveillance. Son exécution entrainera-t-elle une nouvelle dégradation du système bancaire ?
Là encore, les marchés ont sûrement anticipé. Les règles prudentielles européennes obligent les banques à détenir une proportion minimum de dette souveraine dans leur bilan, considérée il y a peu de temps comme un actif sûr.
Mais « elles vont avoir besoin de financement au premier trimestre 2012″, expliquait récemment Moritz Krämer, analyste chez S&P. Il estime à 200 milliards d’euros le montant des crédits arrivant à maturité pour une cinquantaine de banques européennes au premier trimestre 2012. Les banques françaises vont devoir vendre des actifs qu’elles avaient gardés jusqu’ici. Les prix étant bas sur les marchés, elles vont afficher des pertes dans leurs comptes. D’où les milliers de suppressions de postes annoncées cette année.
Conséquence de cette menace sur les banques : une hausse probable des taux d’intérêts pour les crédits aux entreprises et aux particuliers.
7. Une dégradation des institutions publiques
Certaines entités, disposant de la même signature que l’Etat pour leurs emprunts, devraient être dégradées. L’Unedic, la Caisse des dépôts et consignations (CDC), Réseau ferré de France (RFF), perdraient tous leur AAA. Même chose pour La Poste dont le coût de financement augmenterait.
Quelle conséquence pour la CDC, qui doit justement venir en aide à l’assureur Groupama et à la banque Dexia ? Ou pour la banque de financement des PME Oseo ? « Bénéficiant d’autres sources de financement que les marchés, elle ne sera pas nécessairement contrainte d’augmenter les taux pour ses clients dans un premier temps », explique un de ses cadres. Mais à plus long terme, il est possible qu’elle doive le faire dans certains cas. Reste à savoir lesquels, et quand.
8. Une augmentation des prix pour les particuliers
L’Etat participe au capital d’EDF, la SNCF, GDF-Suez, Air France-KLM, EADS, France Telecom, Renault, etc. A leur tour, ces grosses entreprises pourront voir leurs coûts de financement augmenter. Cela posera notamment problème aux filiales les moins solides, pour lesquelles la garantie de l’Etat est précieuse.
« Difficile de savoir quand se matérialiseront les conséquences de la perte du triple A pour les clients. L’impact sera probablement inégal et réparti sur plusieurs années », affirme Karine Berger, conseillère de François Hollande pour l’économie.
9. Un nouveau risque pour les collectivités locales
Leur système de financement par les banques est « en train d’exploser » affirme une analyste chez S&P. Leur budget dépend pour moitié des subventions de l’Etat, et elles utilisent sa garantie pour se financer ailleurs à des prix raisonnables. Et « parmi elles, il y a des centaines de petite Grèce », affirme Karine Berger.
10. Un tournant dans l’élection présidentielle
A qui profite la pression des agences ? Pour le président socialiste de la commission des Finances, Jérôme Cahuzac, « en acceptant par avance une dégradation et en refusant de mener une politique de redressement juste et efficace qui permettrait de l’éviter, Nicolas Sarkozy privilégie son intérêt électoral de court terme plutôt que l’intérêt de moyen et de long terme des Français ».
François Hollande avait ajouté en décembre : « Je ne sais pas ce qui se passe avec le triple A mais pour l’instant il y a un triple échec de Nicolas Sarkozy: échec par rapport à l’obligation de croissance, nous sommes en récession, échec par rapport à l’objectif de réduire le chômage, échec par rapport à la réduction des déficits ».
Source: tempsreel.nouvelobs.com
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