mercredi 7 mars 2012

ALLEMAGNE : Un pays modèle, vraiment ?


Même si Sarkozy vante le modèle germanique, l’Allemagne paye pour sa compétitivité retrouvée, son chômage en baisse et ses records à l’exportation. Résultat: des millions de pauvres et une fracture sociale qui grandit.


A Berlin, Rolf-Bernd Pelikan s’explique mal comment son quartier bien-aimé de Spandau est devenu l’une des zones à risques de la capitale allemande, qui accumule des taux de chômage, de criminalité, de suicides ou encore de faillites privées parmi les plus élevés du Land. Mais lui et sa femme Jutta le constatent chaque jour: «Les zones commerciales ont été colonisées par des baraques à frites et à kebab, des magasins discount qui vendent tout à 1 euro et des coiffeurs qui coupent les cheveux pour 5 euros», raconte Jutta, assistante sociale dans un hôpital qui a été privatisé il y a peu: «Les rapports sociaux se sont durcis, les gens se renferment. Les ménages plus aisés sont allés vivre dans le centre de Berlin», ajoute Rolf-Bernd qui sort lui-même de 15 mois de chômage.
«Spandau a toujours été un lieu de vie pour les classes moyennes industrieuses qui vont travailler à l’usine, comme l’ont fait mes parents», raconte-t-il. Avec la présence des usines Siemens et BMW et de nombreux sous-traitants, Spandau a toujours été un des principaux quartiers industriels de Berlin. Le reste du territoire se partage entre d’agréables étendues boisées et des zones d’habitations très présentables. Et le centre-ville, avec ses rues piétonnes pavées de neuf, n’a rien d’un ghetto.
Petites annonces
Pourtant, le panneau de petites annonces placé à l’entrée de la « Kulturhaus », entre la gare et les berges de la Havel, donne la tendance: l’offre du groupe d’entraide pour les « conséquences psychologiques des faillites » est coincée entre celle du cercle de parole contre la «pauvreté des personnes âgées», et celle de l’association d’aide «aux chômeurs en fin de droit». Et par ailleurs, cette dernière côtoie le programme de rencontres de l’association «pour un divorce plus humain».
«La pauvreté en Allemagne, cela ne ressemble bien sûr pas au tiers-monde. C’est une pauvreté cachée, une pauvreté de l’exclusion sociale plutôt que du haillon, une pauvreté que l’on n’ose pas avouer et que l’Etat a encore les moyens d’amortir. Mais il y a aujourd’hui près de 12 millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté en Allemagne. Sur 82 millions d’habitants, ce n’est pas rien», explique Anke Assig, porte-parole de l’Association nationale des soupes populaires.
Restos du cœur locaux
L’activité des «restos du cœur» allemands, dont le nombre de «clients» est passé de 1,3 à 1,5 million sur les deux dernières années, reflète assez fidèlement le bilan dressé par le dernier rapport national sur la pauvreté: «En Allemagne, la pauvreté n’est plus marquée par la partition est-ouest. La région de la Ruhr et des villes comme Dortmund ou Duisburg ont autant de pauvres que le Land du Mecklembourg au nord-est», détaille Mme Assig.
Le phénomène touche majoritairement les chômeurs, les personnes en emploi précaire et les femmes seules avec enfants. Par ailleurs, 1,64 million d’enfants vivent dans un foyer pauvre: «Il existe des soupes populaires qui s’installent près des écoles pour que les enfants qui n’ont pas les moyens de se payer la cantine puissent venir», précise-t-elle.
Cette paupérisation s’inscrit dans le cadre général de la mondialisation et de vastes restructurations industrielles. Mais le phénomène s’est nettement accéléré à partir de 2005. Deux ans auparavant, Gerhard Schröder a en effet lancé l’Agenda 2010, un train de réformes sans précédent aussi appelées «lois Hartz». Il s’agissait de flexibiliser le très rigide marché de l’emploi allemand et de rendre «le chômage moins intéressant que le travail». Lors de la présentation de l’Agenda 2010, il a aussi expliqué que pour lui, «ce qui est social, c’est ce qui crée de l’emploi». On serait tenté d’ajouter aujourd’hui: quel que soit l’emploi… souvent mal payé et à temps partiel.
Une baisse brutale
La dernière des lois en question, dite Hartz IV, a fusionné l’allocation chômage longue durée et l’aide sociale (loi Hartz IV). Une réforme apparemment technique mais qui a accéléré le processus d’appauvrissement. Ainsi, depuis 2005, seule l’allocation chômage perçue pendant la première année de chômage reste indexée sur le dernier salaire. Au-delà, on ne perçoit plus que l’allocation dite «Hartz IV» (850 euros pour une personne), que l’on soit chômeur de longue durée, travailleur au salaire insuffisant ou inactif et indigent. La baisse des revenus est d’autant plus brutale que la nouvelle loi a introduit une subtilité de taille: ne peut toucher cette allocation que celui qui dispose de 9750 euros d’économies au plus. Au-delà de cette somme, il faut vivre sur ses avoirs personnels aussi longtemps que possible.
Ces nouvelles règles expliquent ainsi pourquoi 70% des chômeurs allemands vivent sous le seuil de pauvreté contre 45% pour la moyenne des pays de l’Union européenne. Outre l’appauvrissement de millions d’Allemands, l’Agenda 2010 a aussi provoqué une explosion des emplois précaires, du temps partiel et de l’intérim. Aujourd’hui, on recense près de 7,5 millions de «mini-jobbers», avec des emplois à 400 euros pour 60 heures par mois dans les secteurs aussi variés que la distribution, le nettoyage industriel, les soins aux personnes âgées, l’artisanat, la coiffure, etc. Il y a aussi 1 million d’intérimaires et, encore, 2,9 millions de chômeurs.
A Spandau, Rolf-Bernd Pelikan est un représentant de ces classes moyennes, particulièrement menacées par la crise. Doté d’un diplôme de commerce, il a toujours travaillé pour des PME de services industriels, jusqu’en 2009: «A l’époque, j’étais monté jusqu’à un salaire annuel de 50 000 euros, avec un poste de chef d’unité de production dans une entreprise sous-traitante d’Osram. Quand cette filiale de Siemens a réorganisé ses activités en Allemagne, ma boîte a déposé le bilan et je me suis retrouvé au chômage, pour la première fois», explique-t-il.
400 euros par mois
Rolf-Bernd n’a jamais rêvé de salaire mirobolant mais a été élevé avec le goût du travail: «Ne rien faire, c’est impensable pour moi. Quand l’allocation chômage s’est arrêtée, j’étais encore trop «riche» pour toucher «Hartz IV» puisque ma femme travaille et que je possède mon appartement. J’ai vendu des journaux pendant un mois pour un «salaire» de 400 euros. Puis j’ai trouvé un poste de manutentionnaire dans une usine, pour environ 1100 euros bruts par mois», explique-t-il en serrant les poings. Rolf-Bernd s’en est sorti. Depuis 6 mois, il a retrouvé un «vrai» emploi en CDI chez TUJA, un spécialiste… de l’intérim: «Mon travail est de trouver des intérimaires pour BMW. Mon salaire annuel est de 25 000 euros. C’est moitié moins qu’avant mais j’ai un vrai travail», souligne-t-il avec un sourire fataliste.

Une loi limitant les abus

«Aujourd’hui, la porte gauche de la voiture est installée par un monteur avec un contrat normal à 15 euros de l’heure, pendant que la porte droite est montée par un intérimaire à 8,50 euros », se plaint Bertold Huber, patron du syndicat IG Metall. Ces pratiques touchent l’ensemble de l’économie allemande. La compagnie aérienne Lufthansa vient ainsi d’annoncer qu’elle se préparait à «innover» en embauchant 200 stewards et stewardess intérimaires!
Quant à la chaîne de drogueries Schlecker, qui fermait des magasins pour mieux réembaucher ses salariés à moitié prix via une autre société, elle a même donné son nom à une loi destinée à limiter de tels abus… Une loi qui comporte encore de nombreuses lacunes, dénoncées par les syndicats, pour qui la mise en concurrence entre salaires précaires et salaires négociés contribue à faire baisser le niveau des salaires. Aujourd’hui, ceux-ci se battent pour l’égalité des salaires entre travailleurs réguliers et intérimaires et pour obtenir un salaire minimum universel, inexistant en Allemagne.

Une énorme richesse toujours plus mal répartie

Les Allemands sont très riches. Enfin, pas tous… Les statisticiens évaluent leurs avoirs à près de 8600 milliards d’euros (2010). Mais 25% de cette somme, soit 2150 milliard d’euros appartient à 1% d’Allemands les plus riches. Soit 825 000 personnes qui possèdent chacune 2,6 millions d’euros en moyenne. De l’autre côté, 70% de la population, soit 57,7 millions de personnes, se contentent de 9% du gâteau (774 milliards euros: 13 414 euros par personne). Ces inégalités se renforcent d’autant que la part des salaires dans les revenus des Allemands a fortement diminué passant de 72,2% en 2000 à 66,4% en 2011.
Quant à la transmission du patrimoine, très faiblement taxée, elle est de plus en plus inégale. Car avec le vieillissement démographique, les héritiers sont moins nombreux que leurs parents.
SOURCE : LE COURRIER.CH

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