lundi 6 juin 2011

Le combat des dix dernières familles juives de New Delhi



Dans la capitale de l’un des pays les plus multi-religieux, un rabbin qui n’a jamais été ordonné est attaché aux traditions antiques. « Notre approche libérale nous permet de survivre », explique le secrétaire honoraire de la synagogue. A New-Delhi, ce rabbin permet à dix familles juives de pratiquer le culte.


Contrairement à la plupart des synagogues, les hommes et les femmes officient dans la même pièce, et les portes y sont ouvertes à tous. Qu’ils soient nés Juifs, convertis ou adeptes d’autres fois, ceux qui viennent ici chantent les psaumes dans un hébreu parfait. L’officiant n’interroge jamais les participants sur leur religion, et il encourage sa fille à devenir la première femme rabbin d’Inde.

« Etant donné que nous sommes une petite communauté, nous ne pouvons pas être très rigides, très orthodoxes », explique Ezekiel Isaac Malekar, secrétaire honoraire de la synagogue. Pour maintenir la cohésion de son groupe, il exerce depuis trente ans son activité bénévole de rabbin en fermant les yeux sur les conventions religieuses.
 
« Notre ouverture, notre approche libérale est ce qui nous aide à survivre. Pour lire la Torah, vous avez besoin d’un minyan [dix hommes]. Mais pourquoi devrions-nous discriminer les femmes ? J’ai fait un choix qui change radicalement : je compte les femmes [dans le minyan]. »
 
Dans la petite synagogue Judah Hyam, tapie entre le marché le plus populaire de la ville et les hôtels les plus luxueux, la petite communauté se fait aussi discrète que la plaque noire apposée sur le mur extérieur quand elle se rassemble chaque vendredi pour le Shabbat, le Shabbat juif.
 
Cette synagogue et le cimetière attenant ont été offerts aux Juifs de Delhi par le gouvernement indien en 1956. On compte une trentaine de synagogues en Inde, où les premiers Juifs sont arrivés il y a deux mille ans, mais où ils ne sont pas plus de cinq mille sur une population totale de plus de 1,2 milliards d’habitants.
 
Le lieutenant General J.F.R. Jacob, ancien gouverneur  des provinces du Punjab et de Goa et président de la synagogue, conduite l’office au côté d’un touriste canadien pour une douzaine de fidèles qui ont parcouru plus de 30 kilomètres pour s’y rendre, à travers la ville.
 
Quelques fidèles viennent depuis des décennies dans cette petite synagogue joyeusement éclairée. Pour eux, le service hebdomadaire a un rôle essentiel dans le lien qu’entretiennent ensemble les familles juives de la ville.
 
Au moment des grandes fêtes, la synagogue est clairsemée, mais le nombre de participants augmente sensiblement : diplomates israéliens et autres Juifs expatriés s’y rendent, tandis que 10 000 voyageurs du monde entier parcourent l’Inde pendant cette période très touristique.
 
« Nous sommes une communauté minuscule, insignifiante, mais ce qui nous unit est un lien très spécial. Nous sommes une seule et même famille. Nous nous rencontrons, nous parlons, nous échangeons les uns avec les autres », explique Shulamith, la fille de Malekar quelques instants après que son père ait donné sa bénédiction à la fille d’une femme de 94 ans qu’il connaît et qui vit à Kolkata.
 
Après les attentats de Mumbaï, au cours desquels six Juifs furent kidnappés et assassinés par des terroristes ayant attaqué leur centre communautaire, le gouvernement avait dépêché dix soldats des forces paramilitaires devant la petite synagogue de Delhi. Une précaution renouvelée après l’élimination d’Oussama Ben Laden le mois dernier.
 
L’attaque ciblée de Mumbaï était un incident isolé dans un pays qui a vu tant de conflits sanglants éclater entre les Hindous, qui représentent plus de 80% de la population, les musulmans et les sikhs depuis l’Indépendance en 1947, date à laquelle la puissance britannique s’est retirée.
 
« Je suis d’abord Indien, et Juif ensuite. L’Inde est l’un des pays où les Juifs n’ont jamais eu à souffrir d’antisémitisme ou de persécutions. En outre, je considère l’Inde comme mon pays natal », raconte Malekar, qui vit dans un petit cottage au sein de l’ensemble synagogal.
 
Le recensement indien de 1951 dénombrait 35 000 Juifs, vivant principalement dans la zone commerciale de Mumbaï, ou à proximité. Aujourd’hui, ils sont 4 000 à vivre ici, et les plus grands quais de la ville portent le nom de la famille juive la plus célèbre du pays : les Sassoon.
 
Malekar, avocat réputé et ancien secrétaire adjoint à la Commission nationale des droits de l’homme, est impliqué dans les célébrations nationales du leader du mouvement indépendantiste, le Mahatma Gandhi, et du premier Premier ministre Jawaharlal Nehru.
 
Il a été convié à dire des prières juives aux funérailles des feus Premiers ministres Rajiv et Indira Gandhi, et a participé à un office oecuménique pour les obsèques du guru populaire Sathya Sai Baba le mois dernier.
 
« Israël est dans mon cœur, mais l’Inde est dans mon sang », ajoute Malekar, lorsqu’il raconte la légende de sept familles juives échouées sur les plages de Mumbaï après un naufrage au ive siècle.
 
« Nous avons survécu ici tout ce temps », déclare Elizabeth, une fidèle de la synagogue. « Il y aura toujours quelqu’un ici», assure-t-elle.

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