dimanche 26 février 2012

GRECE: «Salopards, nous mourrons de faim. Pourquoi ? » (témoignage de grecs)




Athènes ; sous le Mémorandum II et sous la pluie. Lundi, les passants s'arrêtaient un instant devant les écrans. 
En direct : l'Eurogroup et le nouvel accord nous concernant. 
En face, les boutiques vendaient du carnaval pour quatre sous. Comme nos parlementaires automates avec la démocratie.


SE TIRER


C'est annoncé pour le 1er mars : la fin des salaires encore entiers, la fin des retraites, et la fin de la dignité, mais pas encore la leur. La Constitution violée doit être modifiée au plus vite pour s'aligner sur le droit anglais des « créanciers », ainsi Theodoros Pangalos, vice Président du Conseil, déclare sur Europe 1 qu'il a toujours été partisan de l'abandon de la souveraineté.
  
Depuis le Mémorandum II je crois bien que les suicides deviennent plus fréquents, ou sinon, c'est la presse qui en dit davantage. En tout cas, sur l'île d'Eubée, un homme de 56 ans se tire une balle, seul sur la plage, car selon le reportage « ce père de deux enfants, rencontrait des problèmes financiers... ». Apparemment, le Mémorandum II n'apporte pas la pierre philosophale, donc... on se tire ailleurs... comme on peut, dans ce pays.


« EDUCATION »

On proteste aussi comme on peut, par exemple, lors des commémorations officielles pour les 99 ans de la libération de la ville de Ioannina de la domination ottomane. Les écoliers et les citoyens présents ont encore une fois insulté le pré carré de la tribune des officiels. Anna Diamantopoulou, la ministre des écoles sans chauffage ni manuels scolaires, a exprimé sa vive colère : « laissons les enfants en dehors des divisions politiques », a-t-elle déclaré. Mais nos enfants peuvent hélas craindre le pire authentique. Une nouvelle drogue pas chère, la « sissa », fait parait-il des ravages chez nous. Elle contient notamment dans sa composition du liquide de batterie. La Grèce devient alors vraiment un pays… branché. Comme l'Argentine lors de l'introduction du « el paco ». Et ce n'est pas terminé.


THÉÂTRE GRÉCO-ALLEMAND



Une autre femme politique, Liana Kanelli, député PC, prend désormais le micro lors de la représentation d'une pièce - parodie musicale de notre temps. C'est peut-être aussi une façon d'exprimer autrement sa parole devenue inutile au « Parlement ». Et Trangas, le vieux journaliste de droite, excessif parfois dans ses propos, s'est fait taper sur les doigts par le CSA de notre Baronnie, justement pour « propos excessifs » sur Madame Merkel. Il expliquait encore mercredi matin sur sa radio que « ce n'est pas tant l'amende (trente mille euros), qui menace l'émission, mais plutôt le chantage direct des tenants du pouvoir, ainsi exercé sur le directeur de l'antenne, en ce qui concerne la publicité qui nous fait (encore) vivre ». 
  
La grande thématique à Trangas est « l'occupation allemande » sur notre pays, et, il y a six mois, ses jeux de mots nous faisaient sourire, plus maintenant. Une personne appartenant au microcosme politique de la droite et qui n'appréciait pas Trangas à cause de son style, m'a dit alors sans hésiter : « Je ne l'aime pas, il est trop populiste, mais depuis quelques semaines déjà, je me dis que sur l'Allemagne il a raison. En revanche, à un moment si crucial de notre histoire, nous n'entendons plus du tout parler des Américains : ils sont hors jeu ou quoi ? Je ne le crois pas finalement ; il doit se passer quelque chose... Tiens j'ai vu mon ami Aristos, il est haut fonctionnaire aux impôts tu ne le connais pas, c'est la catastrophe a-t-il dit. Il a envoyé ses gars aux petites et moyennes entreprises. C'est pour faire verser la TVA… Avant ils fraudaient. Aujourd'hui, ils ne peuvent plus vraiment payer ; d'ici l'été, ils vont faire faillite, on se demande d'où viendra l'assiette fiscale désormais... ».


MAUVAIS SOUVENIRS

L'atmosphère est sinistre. Les conventions collectives par branche sont vidées de leur substance par les lois Mémorandiennes II. 
Et le ministre de l'intérieur, le « socialiste » Papoutsis - ex-commissaire de Bruxelles - vient de déposer un projet de loi rendant toute poursuite à l'encontre des forces de l'ordre « dans l'exercice de leurs fonctions » quasiment impossible à faire aboutir. L'étau se resserre en effet. Manifestons librement nous ne risquons plus rien ! 
  
Pourtant, parmi nous, certains espèrent et attendent. « Nous avons vécu bien pire », disent-ils. Ainsi récemment, j'ai rencontré une figure de la Résistance (1940), Manolis Glezos. Il est l'auteur du premier acte de résistance en Grèce sous l'occupation et probablement un des tout premiers en Europe occupée. Le 30 mai 1941, il est monté au sommet de l'Acropole en compagnie d'Apóstolos Sántas, et il a dérobé le drapeau nazi qui flottait sur la ville depuis le 27 avril 1941, date de l'entrée des troupes allemandes dans Athènes. Manolis Glezos et Apostolos Santas furent condamnés à mort par contumace par les nazis. Le 24 mars 1942, il fut arrêté par les Allemands et torturé. 
  
Il a 90 ans et toute sa vitalité. Il sent que l'époque change radicalement, comme il dit. Des documentaristes français lui ont demandé son appréciation de l'état de la société grecque actuellement. Eh bien, il a répondu par une analyse de fond, économique et géopolitique de la crise grecque, tout simplement parce qu'il n'a pas saisi toute leur démarche - de méta-analystes. Il est resté, et avec brio, dans son rôle de vrai pédagogue et de défenseur de la cause grecque, s'adressant aux médias du monde et de la France en particulier. Il a tout de même exprimé son inquiétude ; c'est-à-dire voir s'installer une certaine violence anomique dans la société grecque, annulant ainsi toute résistance utile.


ARCHAÏSME

Ensuite je l'ai questionné, en dehors de l'entretien, sur la gauche grecque dont il fait partie. Eh bien il a exprimé ce que d'autres expriment également depuis le début de la crise à gauche : « nous entrons dans une nouvelle époque, il faut en saisir le moment opportun. La gauche reste dans l'ankylose marxienne ; Marx, Engels ou Lénine seraient-ils présents, leur analyse aurait pris une autre forme et une tournure différente. » Donc, et selon Glezos, « soit il y aura un minimum d'entente [entre les partis de gauche] soit nous entrerons dans une très mauvaise phase et pour longtemps ». Mais il se dit tout de même optimiste. 
  
Il s'est souvenu d'un petit épisode vécu lors de son transfert en caïque entre deux îles d'exil. Un paysan-pécheur alors embarqué en tant que passager pose la question suivante à un détenu politique, paysan également mais appartenant au groupe de Glezos : « Pourquoi êtes-vous dans cette situation ? » Réponse : « Parce que le rapport entre les forces productrices et les structures productrices n'est pas encore arrivé à maturité... » C'est cette même réponse que notre gauche répète encore et encore, selon Glezos. Et le paysan-pécheur de 1947 n'avait rien compris.


LIBRES

Hier, mercredi, le rassemblement sur la place de la Constitution organisé par des syndicats n'a pas attiré les foules. La police avait fermé les stations du métro deux heures avant, ainsi que le jardin botanique. Sous la pluie. M'y rendant à pied, les policiers postés partout m'ont indiqué un parcours plus long et surtout obligatoire. Paradoxalement, je me suis tout de même retrouvé sur le trottoir du palais présidentiel. 
  
Pour rester dans le détail de l'histoire, j'ai appris que les fonctionnaires détachés à la Présidence, ou sinon des voisins, auraient financé l'opération chirurgicale pratiquée sur un chat errant du coin. C'est en effet un bel acte, car depuis la crise, les cas de mise à mort et de torture sur des chiens et chats errants se multiplient. Chez nous, ces animaux, nous les appelons, « adespota », littéralement « sans despote », sans maître, donc supposons-le, libres. Et nous ? Au même moment, de l'autre coté du jardin botanique, c'est la chirurgie « sociale » de la Troïka qui triomphe. À deux pas des institutions supposées directionnelles de notre pays, les nouveaux sans abri se réchauffent comme ils peuvent. Un peu plus loin sur les stores fermés d'une boutique, on peut lire : « Nous ne voulons plus être sauvés ».


SOUS L’EAU, ÇA BRÛLE


Sur la place de la Constitution, avant le rassemblement, un dernier car touristique s'apprêtait à faire découvrir Athènes et le Pirée, « City Sightseeing Athens & Piraeus », pendant que les MAT - les CRS en Grèce - se positionnaient déjà autour. Devant le « Parlement » et le cordon policier, une femme âgée criait alors de toutes ses forces : « Vous êtes des vendus, vous êtes des prétoriens, si vous avez des c... laissez-nous passer. Laissez-nous pénétrer dans le bâtiment : mettre le feu. Nous voulons les tuer tous ces traîtres. Salopards, nous mourons de faim, pourquoi ?  ».  
  
Un policier très jeune laisse alors un long sourire s'échapper sur ses lèvres, pas forcement ironique d'ailleurs. Le voyant, un homme parmi les manifestants a laissé toute sa colère exploser : « Espèce de porc, cela te fait rire, tu devrais baisser les yeux, t'agenouiller même. Cette femme c'est ta mère ou ta grande mère, et toi, tu protèges les assassins de cette femme, honte et encore honte, un jour je te réduirai en poussière... ». Un gradé de la police a fait alors signe à ses hommes de rester calmes, les pulsions furent ainsi en quelque sorte déchargées et la nouvelle garde Evzone s'est mise en route pour prendre la relève devant le monument du soldat inconnu. Sous la pluie. 

Source:Marianne2

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les commentaires sont ouverts a tout le monde. La liberté d'expression est pleine et entière...
Merci, toutefois, de savoir respecter les commentaires des uns et des autres et de modérer vos propos. Cordialement votre.