jeudi 24 mars 2011

JAPON : Je suis un Français du Japon en colère

 
La presse va vous offrir dans les heures et les jours qui viennent des mines de Français en larme arrivant à Roissy, arborant cette tête des grands malheurs et du jaitouperdu. Et ce sera vrai que pour certains, la tragédie que nous traversons laissera des marques.

D'autres encore, que vous avez certainement déjà vu, laisseront derrière eux un travail de trader ou de manager d'une grande banque, d'une grande compagnie d'assurance ou d'une marque de prêt-à-porter. Leur malheur tournera en boucle, ils vous raconteront tous les terribles secousses et puis ce risque radioactif maintenant que l'on sait que des fuites, bien que minimes semble-t'il, se sont produites. 
Le lamento des expatriés à haut salaire dont la plupart ne parlent pas un mot de japonais viendra nourrir ces images déjà vues et revues des jesavaipa en provenance de Cote d'Ivoire, d'Egypte ou d'ailleurs.

Je ne suis pas membre de ce groupe, comme vous le savez, et ce que je vis est un drame beaucoup plus intime, personnel. Et nous sommes quelques milliers, comme moi, dont vous n'entendrez pas parler car nous sommes le flot anonyme de ceux qui ont fait leur vie au Japon, par choix, par amour du pays, qui ont parfois comme je l'ai fait tout quitté (BNP Paribas, pour moi...) par amour de ce petit bout de pays ou les gens sont chauvins comme des roquets, et parfois gentils comme vous ne pouvez pas en avoir idee sans l'avoir vu. Un petit bout de pays avec l'histoire d'un continent... Un tout petit archipel avec une langue qui peut se faire d'une tendre douceur ou d'une infinie violence, ou la politesse prend la forme de la gentillesse et de l'attention. Ici, on vous laisse parler même si vous dites une abomination, simplement parce que c'est malpoli de dire que l'on est choqué.

J'en ai appris comme je l'ai pu des rudiments de la langue, de l'écriture, et cela fait longtemps que je prends du plaisir à parler avec ces vieux qui ont parfois tant à raconter. J'ai pris mes petites habitudes, mes promenades du dimanche ou des jours de congés. J'aime le Japon, malgré tout ce nationalisme dans lequel on baigne les gens mais dont on voit qu'il est, face à l'ampleur d'une catastrophe comme celle que nous traversons, bien peu efficace. 
Quand tout se sera tassé, il faudra sortir l'argent et pour la première fois depuis longtemps, le Japon devra faire face à la crise économique qu'il élude tant bien que mal depuis 20 ans, à ses 220% de dettes qui en font potentiellement un pays pauvre. Pour quelques années au moins.

Un petit bout d'ile du Pacifique où j'ai rencontré mon ami, un petit bonhomme au caractère japonais, introverti et discret, très poli. 
Combien sommes nous à être plus ou moins dans cette situation. Ici, avec quelqu'un que nous aimons, mariés ou non ?

Avec un quotidien, des habitudes inscrites dans des quartiers banals, que ni les touristes ni les expatriés que vous verrez à la télévision ne fréquentent. Qui viendrait à Kasai, si ce n'est un amoureux comme moi des quartiers populaires de l'est ? Celles et ceux qui habitent loin dans l'ouest vers Hachioji, ceux qui habitent Chiba. Celles et ceux qui ont des métiers qu'on veut bien nous donner. J'ai toujours satisfait mes supérieurs à BNP Paribas ou à Lehman, mais quand je cherche, non, pas assez comme ci ou pas assez comme ça. 

Il faut croire que celles et ceux qui quittent le Japon après y avoir flambé dans les quartiers à étrangers et qui ne connaitrons du Japon qu'une sorte de mélange Cergy-Pontoise / quartier des Halles / Opéra / Champs-Elysees sont plus compétents que moi ; ou que mon ami Yann qui, bien que diplômé et avec de l'expérience en marketing et événementiel, et bien que lisant et parlant le japonais, bien qu'ayant fait des traductions de livres sur le Bouddhisme et des interviews de moines, ne parvient pas à satisfaire les exigences des recruteurs qui lui préfèrent les diplômés standards et couteux envoyés par Paris à Tokyo. 

Ces expatriés qui vous diront à quel point tout est hors de prix, justifiant d'incroyables notes de frais à leur société alors que le Japon est un pays où on mange très bien pour pas cher et où une livre de fraise ne coûte pas forcement 1000 yens (dans mon quartier, en ce moment, c'est entre 250 et 300 yens...). Ces expatriés qui vous parleront de leur appartement à 600.000 yens, payé par leur entreprise, quand en fait on trouve des surfaces identiques et de même qualité pour trois fois moins cher... 
Ces gens qui ne fréquentent que des étrangers qui, comme eux ne parlent pas ou très peu japonais, et des Japonais qui ne fréquentent que des étrangers, principalement des femmes avides d'un mariage avec un de ces portefeuille ambulant.

La majorité des Français du Japon sont différents. 
Il y a les mordus, en vacance-travail, venus ici apprendre ou perfectionner la langue. Il y a les maries, qui supportent, comme je le fais, un travail peu valorisant pour rester ici avec l'être cher. Il y a les passionnés de culture, comme moi, qui aiment être ici, y vivre, y découvrir des lieux différents, les jardins, les temples, et l'incroyable végétation luxuriante, sorte de force vitale sans cesse renaissante, avec ce vert puissant (une secousse un peu forte, à l'instant) pour lequel j'ai tout sacrifie après l'avoir découvert. J'ai proposé à Jun de passer quelques jours à Kyôto, le temps que ça se tasse. 

Pour moi, le Japon, c'est Fushimi Inari. Je me souviens un collègue à Lehman, un expatrié original, de type "baroudeur", au CV impressionnant, brillant, et aujourd'hui manager dans une grande banque à Singapour, tombant amoureux de Shikoku. Qui ne tomberait pas amoureux de Shikoku...

Nous, les Français ordinaires, n'intéresseront pas les médias, sauf si nous mourons, car alors nous alimenterons le moulin à désolation sur la "tragédie japonaise". A cet égard, 21 sont toujours portes disparus du cote de Sendai et vous imaginez qu'il y a peu de chance de les retrouver vivants car la ville a été dévastée.

Pourtant, et c'est là que je suis en colère, l'ambassade de France est fermée. Il y a une ligne téléphonique, injoignable. Nous vivons à l'heure du web, et la France, sa représentation, est injoignable. Des touristes, certains certainement pris de panique, trouvent grille fermée quand ils viennent chercher un peu d'écoute, de réconfort. Nous, les expatries pas trop fortunes, incapables d'acheter ces billets d'avion à tarif prohibitifs, ou bien incapables de quitter notre famille, l'être cher, ne trouvons dans notre ambassade, aucune permanence, rien. Au contraire, l'ambassade a livré sa dernière respiration avant de s'évaporer, sous cette forme :

Debut de citation : 
"Dimanche 13 mars à 18.00 heures


1. Pertes humaines
Nouveau bilan provisoire : au moins 10.000 morts (source : police de Miyagi)

2. Points ressortissants :
Sur les 137 ressortissants français présents dans la région Nord-Est, la
plus touchée par le séisme, 116 ont pu être contactés et sont indemnes. La
cellule de crise de l’Ambassade met tout en œuvre pour rentrer en contact
avec les 21 dont on reste aujourd’hui sans nouvelle.
Miyagi : 77 personnes sur 93 recensées
Iwate : 5 personnes sur 10 recensées
Fukushima : 19/19
Aomori : 15 personnes sur 15 recensées
La France envoie en ce moment une équipe de plus d’une centaine de personnes de la Sécurité civile au Japon, afin de prêter main forte aux autorités japonaises et de les aider dans leur travail de secours.

3. Point nucléaire :
Deux scénarios sont actuellement possibles :
- Une mise sous contrôle des centrales défectueuses : dans ce cas le
risque reste celui d’une contamination résiduelle liée au relâchement
contrôlé de gaz radioactifs, avec un risque négligeable pour l’agglomération de Tokyo. Ce scénario est actuellement privilégié par les
autorités japonaises et par un grand nombre de scientifiques.
- Ou au contraire l’explosion d’un réacteur avec dégagement d’un
panache radioactif. Ce panache peut être sur Tokyo dans un délai de quelques heures, en fonction du sens et de la vitesse du vent. Le risque est celui d’une contamination.
La période critique sera les trois à quatre jours à venir.
En raison de la mise à l’arrêt d’une partie du parc nucléaire, des
coupures d’électricité sont annoncées, notamment dès cette fin de
journée.
L’Agence Météorologique japonaise vient de faire état de la probabilité
d’un nouveau séisme de force 7 localisé dans le nord Kantô. Cette
probabilité est de 70% dans un délai de trois jours et de 50% dans les jours suivants.

4. Recommandations : Compte tenu de ce qui précède (le risque d’un fort tremblement de terre et
l’incertitude sur la question nucléaire), il paraît raisonnable de
conseiller à ceux qui n’ont pas une raison particulière de rester sur la région de Tokyo de s’éloigner de la région du Kantô pour quelques jours.
Nous déconseillons fortement à nos ressortissants de se rendre au Japon et nous recommandons fortement de reporter tout voyage prévu.
Le lycée sera fermé pour trois jours jusqu’à mercredi inclus, pour
permettre une inspection des locaux suite au tremblement de terre.
L’Ambassade continue de suivre de très près l’évolution de la situation, en contact à la fois avec Paris et avec les autorités japonaises. 
Nous recommandons à nos ressortissants de suivre en toutes circonstances les consignes des autorités japonaises. Il est notamment conseillé à nos ressortissants vivant dans les zones à proximité des centrales de se calfeutrer dans leur domicile (il faut couper les systèmes d’aération), et de faire quand ils le peuvent des provisions de bouteilles d’eau potable et de nourriture pour plusieurs heures. En cas de sortie indispensable, il est
nécessaire de porter un masque respiratoire.
Nous rappelons que l’absorption de capsules d’iode n’est pas un acte anodin. Un usage répété à l’excès peut être dangereux pour la santé.
Il est donc très important de choisir le bon moment pour en absorber lorsque cela devient nécessaire. Là encore, il conviendra de suivre les conseils des autorités japonaises et nos propres consignes que nous vous communiquerons.
L’Ambassade ne manquera pas d’informer ses compatriotes si de nouvelles
consignes devenaient nécessaires." Fin de citation.

L'incompétence, c'est cela. C'est quand quelqu'un recopie une dépêche, ne l'analyse pas, et la livre, brute. Et s'en va, laissant les gens à leur solitude, à des choix difficiles, impossibles. Que font mes anciens collègues, petits salaires, mariés, après un tel mail ? On le sait que le Japon est un pays à fort risque, on y vit. Pourquoi ne pas avoir écrit simplement des conseils de vigilance, avoir un peu décortiqué la dépêche de l'agence Kyodo News. Pourquoi avoir fermé l'ambassade ? Et que sont devenus ces "ilotiers" qui étaient sensés nous contacter en cas de crise ? Pas un mail, pas un contact. Rien. Le silence. La solitude. J'etais avec Jun, hier, nous avions fait une belle promenade, il faisait beau, regardez... (voir la vidéo sur le Blogue ci-joint)

Le mail brutal de l'ambassade, sans aucune pédagogie m'a tué, retourné, torturé. On fait quoi, quand on reçoit ça ?! 

Longue conversation avec Jun. Yann, de son coté, traversait la même situation avec son ami Sho. Et je crois sans me tromper pouvoir affirmer que les personnels qui pondent ce genre de dépêche n'ont pas leur place au Japon. Car la réponse de Jun a été extrêmement logique : tu ne savais pas qu'il peut y avoir un tremblement de terre, à Tokyo ? Les Japonais vivent avec le risque. 

Pendant 5 ans, j'ai moi-même vécu avec, et l'ambassade m'a renvoyé à mon état de Français qui "découvre". 

Ce matin, j'avais retrouvé un certain calme. Ben oui, au Japon, particulièrement à Tokyo, ça peut arriver. Si j'avais eu la responsabilité d'un tel message, j'aurais pondéré sans dissimuler la gravité. Plutôt que reprendre bruts ces pourcentages, j'aurais rappelé que la situation particulière de Tokyo ainsi que la force du tremblement de terre de Miyagi rendaient le risque d'une forte réplique quasiment inévitable (et là, j'aurais donné les pourcentages). Ca peut vous paraitre du chipotage, mais pour nous, les Français du Japon, nous naviguons entre deux psychologie et généralement, avec le temps, pour les séismes, c'est la psychologie Japonaise qui l'emporte. Ce n'est pas une question d'enrobage, c'est nous rappeler ce que nous savons. Et j'aurais rappelé les principales précautions à observer en cas de séisme, tout en invitant ceux qui le pouvaient à reporter leur voyage où à visiter leur famille en province. On aurait compris ce que l'on savait déjà, car depuis vendredi ça n'arrête pas de secouer, mais cela aurait été dit comme une piqure de rappel. Pas comme un avis officiel invitant à fuir. Et ainsi, concernant le risque nucléaire, j'aurais juste délayé en une phrase, expliquant que le risque est, compte tenu de la force du tremblement de terre, inconnu, mais est situé (autre secousse à l'instant) entre minime et critique. J'aurais rappelé les précautions à prendre, la proximité de la centrale et la nécessité de suivre les informations. Là encore, c'est peut être du chipotage, mais nous sommes des adultes et nous pouvons comprendre, nuancer et nous organiser. Et non paniquer.

Et j'en reviens à l'ambassade fermée, aux ilotiers absents. Pourquoi lesdits ilotiers n'auraient pas pu prévoir des regroupements de Français, pour rompre notre solitude, casser ce cycle de rumeurs, ces mails affolés venant de nos proches en France. On aurait pu s'organiser pour se retrouver les uns chez les autres, tranquillement, dès samedi. Pour libérer du stress. Les couples mixtes auraient pu recevoir, donnant ainsi un sentiment de Fraternités. Aujourd'hui, ces ilotiers, l'ambassade auraient pu créer un groupe Google Group, animer un forum. Non. Ils ont fui. Ils nous ont laissé avec un quotidien, nos attaches. Et l'ambassade fermée, c'est la France absente. Les commandants autrefois gardaient le navire. 
Nous sommes aujourd'hui livres au sauve qui peu thatcherien, chacun pour sa gueule. 

Vous êtes blessés ? On vous avait prévenu, on a envoyé le mail, vous n'aviez qu'a fuir, nous, on a applique le principe de précaution. 

Je me demande qui ils joindront, les survivants de Sendai, s'il en est. Ils ne trouveront personne, qu'une ligne téléphonique occupée.

Quand la presse vous parlera de l'impréparation du gouvernement japonais, pensez donc a notre ambassade fermée et à ce message en forme de sauve qui peu indigne de la France, à ces "îlotiers" sensés nous aider, nous contacter, et qui sont introuvables. 

Et pensez bien que ces mines défraîchies à Roissy ne représentent en rien le déchirement, la tragédie silencieuse de la communauté française du Japon, amoureuse de ce pays et abandonnée à son sort.

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